Carte de visite pudique
Vous êtes commercial ? Quel titre figure sur votre carte de visite ? Les multiples réponses à cette question permettent de prendre la mesure de l’inventivité et de la créativité dont déborde
l’esprit humain. Chargé de clientèle, délégué technico-commercial, conseiller commercial, responsable de secteur, account manager, ingénieur des ventes, j’en passe et des meilleurs. Mais
vendeur, jamais. Ou alors très rarement.
Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi le terme « vendeur » était à ce point malvenu sur les cartes de visite et jusque dans le vocabulaire même des vendeurs eux-mêmes ? La réponse la plus
fréquente évoque la susceptibilité ou la sensibilité du client qui serait à ménager. « Il ne faut pas effrayer le client d’entrée de jeu. » En sommes-nous si sûrs ? Ce n’est pas la susceptibilité
du client qu’on ménage en l’occurrence, mais celle du vendeur lui-même.
« Vendeur », un gros mot ?
C’est à croire que le mot vendeur est devenu obscène. Dire « vendeur », c’est un peu comme dire pute ou voleur. Pourtant ceux-là mêmes qui ne veulent pas du mot « Vendeur » sur leur carte de
visite savent pertinemment qu’à la fin de l’année ils seront jugés essentiellement sur leurs chiffres, donc leur performance commerciale. Et de leur propre aveu la première cause de licenciement
potentiel serait le manque de vente. Alors, sommes-nous des vendeurs oui ou non ?
Reconnaissons-le. Le mot vendeur est chargé négativement. Et cela remonte à loin. Qui ne connait l’histoire des marchands du temple chassés à coups de fouet ? Et ça ne s’arrête pas là. Que ce
soit dans la littérature, la bande dessinée, au cinéma : partout l’image associée au vendeur est négative. Vénal, manipulateur, arnaqueur, intéressé, grande gueule… franchement qui voudrait
être associé à ce genre de qualificatifs ?
Et certains instituts de formation alimentent parfois eux-mêmes (à leur corps défendant) cette réputation sulfureuse des vendeurs. Voyez plutôt les slogans pour certaines formations : « Les
techniques qui font vendre », « Devenez un as de la vente », « Maîtrisez la technique de l’entonnoir » (mon ‘préféré’, si l’on peut dire), « Sept conseils pour réussir dans la vente » et autres
titres accrocheurs, limite racoleurs. En donnant à penser qu’il ne s’agit de « trucs » à connaître pour exceller dans l’art de la vente, je crains fort qu’ils ne confortent le public (leur public
?) dans l’idée que « vendeur = truqueur ». Qui pourrait dès lors blâmer les commerciaux de ne pas vouloir porter ce titre de vendeur ? Certainement pas moi.
Bas les masques !
Ne pas se revendiquer vendeur comporte pour moi au moins deux risques, qui limitent l’efficacité commerciale du vendeur.
• Le premier dans le chef du client. Si le vendeur ne se présente pas comme tel auprès de son client, celui-ci peut ne pas percevoir l’enjeu exact de l’entretien, de la relation
qui s’établit entre le vendeur et lui. Les choses ne alors sont pas claires d’emblée. Il faut appeler un chat « un chat » et un entretien de vente « un entretien de vente ». Je ne suis pas
certain que le client soit vraiment dupe, mais au pire, le client rusé va jouer de cette ambiguïté pour essayer d’en tirer avantage dans la négociation.
• Le second risque se situe chez le vendeur lui-même. À force de camoufler son rôle (pourtant évident a priori) de vendeur, il finit par se convaincre lui-même de n’être pas
vraiment ce vendeur à la mauvaise réputation. C’est un peu la méthode Coué mais à l’envers, le structuré (ce que je dis et la façon dont je le dis) devenant structurant (influençant la façon dont
je perçois et pense les choses). Il risque de finir par se focaliser sur la relation plus que sur le résultat.
Les valeurs en question
Et si c’était une question de valeurs ? Et si je refusais ce titre de vendeur parce-que les valeurs qui y sont associées sont en porte-à-faux avec mes propres valeurs ?
Mais est-ce bien vrai ? Est-ce toujours vrai ? Dans tous les cas ? Vraiment ? Et que serait ma vie de vendeur si je n’en étais pas à ce point convaincu ? Et mon client, qu’en pense-t-il ?
Après-tout, c’est lui le premier concerné.
Quelles sont ces valeurs que le mot vendeur bafoue à ce point ? Comment puis-je réconcilier mes valeurs personnelles avec le titre et la fonction de vendeur ? Est-ce possible ?
Après tout, ce n’est pas la fonction qui fait (ou honore ou déshonore) l’homme (ou la femme, pardonnez-moi mesdames), mais la façon dont il (elle) l’exerce. Et Adam Smith disait déjà au 18e
siècle « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt
».
Se pourrait-il que la réticence de certains vendeurs à se reconnaître comme tels vienne d’un conflit apparent de valeurs ? Et si ce conflit, que nous voyons comme un « 6 »…. était en fait
un « 9 » ? Autrement dit, si nous changions de point de vue ?
Tout un programme…
À votre tour !
Thomas Jefferson a dit : « Quand deux personnes se rencontrent et échangent un dollar, elles repartent chacune avec un dollar. Quand elles échangent une idée, elles repartent chacune avec deux
idées. »
Je vous ai partagé ma vision. Je souhaite connaître la vôtre. Donnez votre avis, exprimez-vous.
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